Seul trois parlementaires européens ont voté contre le droit à la réparation. Tout le monde aime la réparation sur le papier, même si peu d’entre nous y recourent. On met souvent en avant, y compris dans la directive, la réduction des déchets, l’économie de ressources financières et naturelles, ou la réduction des gaz à effet de serre. Néanmoins, ceux qui me lisent régulièrement savent que, pour moi, la réparation c’est avant tout des réparateurs car la réparation offre des emplois locaux dans tous les territoires, stables et à valeur ajoutée, situés à la jonction du service et de l’industrie.
Si le vote du parlement se repose sur des études qui mesurent les effets cités plus haut, aucune étude ne mesure l’impact sur l’emploi européen. C’est ce que j’examine donc ici. Attention cependant, cet article présente des estimations et pas des résultats d’une étude approfondie. Peut-être devrais-je demander à l’Europe de nous la financer ?
Je vais me limiter ici au gros électroménager, marché que je connais le mieux. On imagine bien la création d’emplois supplémentaires de réparateurs. Il est plus difficile de considérer la disparition d’emplois dans les usines de production. Je vais donc d’abord comparer la quantité d’appareils produits par un employé d’une usine à la quantité d’appareils réparés par un employé d’une société de réparation.
Peu de chiffres sont disponibles, mais en prenant les données des usines de fabrication en Pologne on constate que la production de gros électroménagers est de l’ordre de 2000 appareils par an et par employé, incluant le management[1]. Dans notre expérience, un technicien réparateur de gros électroménager répare environ 5 à 6 appareils par jour, soit environ 1000 à 1200 appareils par an. Pour chaque réparateur, on compte environ 0,3 à 0,5 employé supplémentaire (centre d’appel, logistique, management, etc.). Donc un employé d’une société de réparation, incluant le management, répare de l’ordre de 700 appareils par an. Un calcul rapide montre que la réparation génère 2,8 fois plus d’emploi que la fabrication.
En conclusion, même si ces chiffres ne donnent qu’un ordre de grandeur, ils confirment qu’il est forcément moins efficace de réparer que de construire, car il faut se déplacer, se faire livrer les pièces, et il n’y a pas de gain d’efficacité lié à la répétition des actions chères à Mr Taylor.
Dans un second temps, je vais estimer les volumes d’appareils consommés ou réparés en Europe. Il n’existe pas de chiffres européens publics fiables sur la consommation et encore moins de chiffres sont disponibles sur la production des appareils. Les chiffres d’Eurostat ne concernent que les imports-exports et ne prennent pas en compte les transferts intra-UE. Nous allons donc extrapoler de la France, qui dispose de statistiques suivies depuis de nombreuses années. On considère que la France représente 1/7 des foyers européens. En extrapolant les chiffres de vente en France, on arrive à un marché de l’ordre de 100 millions d’appareils[2].
Qu’on se fonde sur l’espérance de vie moyenne des appareils de 12 ans environ[3] ou qu’on considère 6 à 7 gros électroménagers par foyer européen, on obtient les mêmes ordres de grandeur ; entre 1 et 1,5 milliard de gros électroménagers installés. Notre expérience en France montre qu’environ 3% des appareils tombent en panne chaque année, mais moins de la moitié sont réparés par des professionnels. Cela représente entre 15 et 25 millions de réparations par an. Si on pouvait doubler la réparation en Europe, on créerait donc 28 000 emplois de réparation et supprimerait 10 000 emplois chez les fabricants. De plus, la fabrication des appareils est à ce jour massivement réalisée en Turquie et en Asie, ce qui réduirait l’impact négatif sur l’emploi en Europe.
En conclusion, le droit à la réparation pourrait permettre une création de l’ordre de 20 000 emplois nets en Europe et potentiellement bien plus si la production d’appareils était rapatriée en Europe. En effet, un appareil plus durable et réparable a objectivement une espérance de vie plus longue et à ce titre pourrait être vendu plus cher. Ces niveaux de prix pourraient soutenir une fabrication plus locale et ainsi soutenir nos modèles sociaux. Reste la barrière à l’acquisition pour les moins privilégiés d’entre nous. J’ai déjà écrit que la notion de bonus/malus sur les appareils revenait à une taxe sur les bas revenus, mais cela ne doit pas nous empêcher d’imaginer d’autre solutions. L’équation n’est pas simple, mais notre planète en vaut la chandelle.
Emmanuel Benoit, CEO d’Agoragroup.