Les nombreuses communications de ces dernières semaines insistent sur les subventions versées à ce jour et sous-entendent que la mesure du succès du fonds se résume au budget dépensé.

Je ne pense pas que ce présupposé reflète l’esprit de la loi qui a créé ces fonds. J’aimerais débattre aujourd’hui sur les objectifs que nous devrions associer à ce fonds.

Pour clarifier les objectifs initiaux du fonds de réparation, je vous propose de revenir sur l’histoire de la création de ce fonds : résultat d’une alliance de professionnels, de politiques et d’associations. Chacun de ces courants ont eu des motivations différentes, ce qui a donné naissance à une loi dont les objectifs sont flous.

Au début des années 2010, faisant suite au sensationnalisme journalistique sur la réparation, la France a légiféré contre l’obsolescence programmée qui à ce jour n’a jamais été démontrée sur l’électroménager. Malheureusement, pour les politiques et les associations qui en ont fait leur cheval de bataille, cette loi n’a eu aucun effet notable sur l’électronique ou l’électroménager. Il fallait donc réorienter le débat sur la réparabilité pour continuer à exister. En parallèle, les professionnels de la réparation, pour la plupart des PME des territoires, ont été heurtés par ces discours des élites parisiennes qui ne reflétaient pas la réalité du terrain. Pire, la diffusion du mythe de l’obsolescence programmée commençait à impacter défavorablement leur clientèle qui s’est mise à douter de la valeur de la réparation. J’ai tiré la sonnette d’alarme aux côtés d’associations de professionnels à ce sujet. La réparation était en danger avec des réparateurs pris en tenaille entre le coût de la réparation à domicile qui augmente et la déflation du prix des produits neufs. En alertant les élus locaux et nos députés, l’idée d’un soutien à la réparation a germé. Enfin, les associations écologiques ont toujours vu la réparation comme un moyen de préserver nos ressources. Ces mouvements, puissants dans les territoires, sont à l’origine de nombreuses initiatives citoyennes autour de la réparation et du recyclage.

La loi AGEC sur le fonds de réparation résulte donc de la convergence de ces trois courants afin de pousser à la création d’un fonds de soutien à la réparation. Le problème réside dans le fait que l’objectif du fonds reste une invocation, un vœu pieux, non chiffré et non mesurable en l’état : l’objectif de ce bonus est de simplifier la réparation et de la rendre accessible à tous les Français pour allonger la durée de vie des produits.

Source : https://www.ecologie.gouv.fr/lancement-du-bonus-reparation-appareils-electriques-et-electroniques

À mon sens, on peut réfléchir à cet objectif aspirationnel en répondant à trois questions :

  • Le fonds de réparation permet-il de réduire l’utilisation de matière première?
  • Le fonds de réparation permet-il de réduire l’empreinte carbone ?
  • Le fonds de réparation est-il générateur d’emplois de qualité?

La première question se résume à une analyse des flux matières. Nonobstant la volonté d’améliorer la réparabilité des objets, il est clair qu’on ne peut étendre la durée de vie des appareils à l’infini. In fine, ces objets deviendront des déchets.

Donc jeter est inéluctable. Deux options, le consommateur va-t-il ou non remplacer son produit? Ce papier ne se concentre que sur le cas du renouvellement, car la déconsommation ne doit pas être l’objet du fonds. Il est évident que moins consommer c’est utiliser moins de ressources, mais cela n’a pas grand-chose à voir avec la réparation. Donc dans le cadre de cette discussion, la réparation ne fait que retarder l’utilisation de matières premières. Réfléchissons alors au flux matière de mon appareil jeté. S’il n’est pas recyclé, alors j’ai besoin de nouvelles ressources pour fabriquer mon appareil. De nouveau, cela n’a rien à voir avec la réparation, mais tout à voir avec l’économie circulaire et le recyclage.

À mon avis, l’économie des ressources ne doit pas être l’objectif du fonds réparation.

Doit-on alors mesurer l’impact carbone de la réparation? Là, les choses deviennent plus complexes. L’ADEME a mené une large étude sur le sujet (Evaluation environnementale et économique de l’allongement de la durée d’usage de biens d’équipements électriques et électroniques à l’échelle d’un foyer).

Source : https://librairie.ademe.fr/dechets-economie-circulaire/125-evaluation-environnementale-et-economique-de-l-allongement-de-la-duree-d-usage-de-biens-d-equipements-electriques-et-electroniques-a-l-echelle-d-un-foyer.html

Suivant les principes chers à Jean-Marc Jancovici, elle étudie le bilan carbone de la fabrication, de l’usage et du recyclage. C’est la fabrication de l’appareil qui représente la majeure partie du « coût carbone ». Les calculs minimisent également les gains liés à l’utilisation d’appareils plus efficaces en raison de la production nucléaire d’électricité. Cette étude ne s’exporte donc pas à nos voisins. Néanmoins, prenons le cas le plus favorable de l’étude en économie de carbone : la réparation d’une télévision avec un allongement de durée de vie de 3 ans, soit 124 kg de CO2 en moyenne sur 3 ans. En divisant la subvention de 30€ par la masse de carbone économisée, on trouve un coût à la tonne de CO2 d’un peu plus de 240€. Ce coût est déjà exorbitant ! Pour rappel, le gouvernement imagine une taxe de l’ordre de 100€ par tonne en 2030, mais il ne reflète pas vraiment la réalité de l’économie réalisé. En effet, nos études des consommateurs montrent, qu’à ce niveau de subvention, on n’augmente que de 20% le nombre de réparations. Donc près de 80% de la subvention n’as pas d’impact sur le volume de réparation. Le coût réel de la tonne économisée est de l’ordre de 1200 euros. L’objectif de réduction de l’empreinte carbone est-il raisonnable à ce prix, qui on le rappelle, est le cas le plus favorable possible?

Il nous reste la dernière possibilité : mesurer les emplois générés dans la réparation en France.

En effet, si on a plus de réparateurs actifs, cela signifie sans conteste que l’on répare plus. L’avantage de cette mesure est que l’ADEME fait régulièrement des bilans et donc que l’on a une mesure antérieure à la mise en place du fonds.

Vous l’avez compris, je milite donc pour une mesure du nombre d’emplois dans la réparation, incluant les réparateurs non labellisés. Si au final, on réussit à relancer ce métier en tension avec un nombre de réparateurs qui augmente, alors le fonds sera un succès ! Mesurer le succès d’un fonds à la somme dépensée n’est pas une mesure raisonnable, concentrons-nous sur un véritable indicateur de l’efficacité de cette loi.

Emmanuel Benoît, CEO d’AGORAGROUP