Afin de continuer à décortiquer la communication qui est faite sur le fonds de réparation, j’aimerais que l’on se penche sur un présupposé si répandu qu’il est devenu un lieu commun : la réparation est « trop » chère.

On pourrait poser la question pertinente : « trop » par rapport à quoi? Par rapport à quel but? J’ai déjà écrit un article sur la pertinence des mesures d’efficacité du fonds. Ici « trop » est plutôt invoquée comme une caractéristique absolue. Idéalement, pour les activistes et les pouvoirs publics, la réparation devrait coûter le moins possible, puisqu’ils justifient l’existence du fonds en affirmant que pour réparer plus on doit réparer moins cher.

Or, il ne faut pas être un expert en réparation pour se rendre compte que d’autre facteurs entrent en jeu dans le choix du consommateur. J’en veux pour preuve la complexité de l’indice de réparabilité. Certes un des critères est lié au prix des pièces, mais on y trouve aussi la disponibilité des pièces, la facilité de démontage, la qualité et la disponibilité de la documentation, etc… Vu les efforts consentis sur ces sujets par tous les acteurs de la filière, on est en droit de penser que ces dimensions ont aussi un impact.

Alors, pourquoi ne communique-t-on pas sur les autres sujets ?

La première raison est que le prix est un moyen simple de montrer qu’on fait quelque chose et qu’on prend le sujet au sérieux. C’est un biais Français qui vise à allouer des fonds avant de réfléchir aux solutions.

La seconde raison, c’est que les experts ont montré que le recul de la réparation était lié au prix de la réparation.

Je fais partie de ces experts et je reconnais pleinement ma responsabilité dans cette analyse. On a montré depuis 10 ans par des chiffres et des enquêtes que le Français moyen n’était pas prêt à réparer si le prix d’une réparation était supérieur au tiers de la valeur d’achat de l’appareil. J’ai moi-même argumenté que la déflation constatée sur les appareils est directement responsable du recul de la réparation. Il est donc logique que la puissance publique cherche à lever ce frein.

Pourtant, on ne voit pas les réparateurs ou les consommateurs se jeter sur le dispositif. Tout d’abord, l’inflation récente sur les produits a donné un peu d’oxygène à la réparation. On répare plus parce que les produits sont plus chers. D’autre part, une fois la barrière du prix passée, on reste confrontés à d’autres équilibres, car le choix d’une réparation est multicritères. En plus du prix, les deux autres paramètres qui informent ma décision sont la durée d’indisposition du produit et l’espérance de vie attendue après de la réparation.

Prenons le premier critère. Depuis la crise du COVID et le choc à la demande en résultant (voir mon article ici), le niveau d’activité est très élevé et le manque de techniciens est pressant. Les délais de réparation augmentent. Et c’est en directe opposition avec l’injonction de réparer plus. En effet, il est important de comprendre qu’une fois que les techniciens sont tous occupés à réparer, on ne peut pas réparer plus. Les multiples articles sur le manque de techniciens doivent nous alerter sur la difficulté des réparateurs à recruter aujourd’hui. À ce stade, il faut plus de réparateurs sinon inciter la demande de réparation ne sert à rien.

Le deuxième critère, qui est la durée de vie attendue du produit, me tient à cœur. En tant professionnel de la réparation depuis de nombreuses années, la première remarque qui m’est faite lorsque mon interlocuteur connait mon métier, c’est d’insister sur le fait que les appareils durent moins longtemps. J’ai fait mener des études auprès des consommateurs en 2021 qui montrent qu’au-delà de 7 ans, les consommateurs ont des doutes sur l’espérance de vie de leurs appareils. Cela impacte bien sûr la réparation. Sur les lave-linge par exemple, nos études montrent une réduction de 22% de la volonté de réparer entre un appareil de 5 à 7 ans et un appareil de 7 à 10 ans.  Or, les études sérieuses montrent toutes que l’espérance d’un lave-linge varie entre 10 et 12 ans. Ce biais est donc psychologique, lié aux campagnes multiples sur l’obsolescence programmée. Donc, commençons par arrêter de véhiculer un faux message sur l’obsolescence programmée, d’en faire un faux cheval de bataille comme un outil de communication qui, in fine, nuit à la réparation et au consommateur. Pour rappel, l’impact d’une subvention de 30 euros sur la réparation d’un lave-linge est de l’ordre de 20%. Ancrer dans la tête des Français que les appareils durent plus de dix ans a donc la même efficacité que les subventions du fonds, et cela gratuitement !

En conclusion, si on veut que la réparation augmente en France, on doit former plus de réparateurs et rappeler que les appareils durent longtemps. La prochaine fois qu’on vous parle d’obsolescence programmée, répondez comme moi que c’est faux et que les appareils électroménagers durent plus de 10 ans en moyenne.